top of page

Christian, Calais


C'est un rendez-vous que Julien souhaitait depuis les préparatifs du voyage. Dans le cadre de son documentaire sur le thème de la fuite, il avait coché une croix sur Calais afin de discuter de la question des réfugiés. Le matin de notre arrivée dans la ville, début juillet, il envoie donc un mail à l'Association L'Auberge des Migrants afin de solliciter une interview. Le retour est rapide et surtout positif, une rencontre est possible dès la fin d'après-midi. Cependant, ce à quoi Julien ne s'attend pas, c'est d'être reçu par le Président de l'association directement dans le camp des migrants, surnommé « la Jungle ».

En voiture, nous quittons la route principale pour un chemin de terre poussiéreux et accidenté le long duquel nous croisons des dizaines « d'ombres » à la démarche lourde portant par plus de 40°C ce jour-là des jerrycans d'eau ou poussant des caddies. En l'espace de quelques mètres, nous avons quitté la France telle que nous la connaissons pour un lieu inhabituel et sans repère. Nous sortons de la voiture que nous avons garé à l'entrée du camp, à côté d'un immense 4x4 allemand et du point d'eau, restant là debout à attendre notre rendez-vous, mi-effaré, mi-inquiet devant la scène qui se déroule sous nos yeux. Finalement, au fur et à mesure des sourires, des petites blagues sur la 4L dans un franglais mal assuré, nos visages se détendent, nous ne sommes pas en terrain hostile, bien au contraire. Et tandis qu'un réfugié Syrien me demande en anglais si nous avons des feutres à lui donner afin de réaliser des banderoles pour une manifestation le lendemain en centre ville, Christian, le président de l'association nous rejoint et commence à s'entretenir avec Julien.

Christian est un ancien employé du tunnel sous la Manche. Il se disait à l'époque que le jour où viendrait la retraite, il viendrait donner de son temps à une association d'aides aux migrants. Cela fait donc six ans maintenant qu'il a rejoint l'Auberge des Migrants, fondée en 1995 et qui comporte 7 autres salariés. En ce moment, il enchaîne les interviews alors que le problème des migrants est bientôt au zénith de sa médiatisation (nous sommes deux mois avant la photo du corps d'Aylan, petit syrien échoué sur une plage turque). Hier il s'entretenait par exemple avec la BBC, là il vient de le faire avec la télé allemande et nous sommes les suivants. Selon le président de l'association, l'inextricable problème des migrants aujourd'hui tel qu'il est (sur)exposé ne devrait pas en être un. Pour une population de 60 millions d'habitants et sur un territoire aussi vaste que la France, la question de l'accueil de 2000 êtres humains ne devrait pas se poser, c'est essentiellement un sujet politique alors que la problématique se situerait plus dans la mondialisation et la robotisation, un tournant de société, selon lui, qui donne beaucoup d'importance à la relation humaine au quotidien alors qu'il constate que c'est de plus en plus difficile dans le quotidien de chacun.

Christian est le visage connu de tous les migrants, ils viennent le trouver lorsqu'ils ont un besoin précis : une demande de chaussures, une blessure à soigner, … Il travaille cinq jours sur sept afin de venir en aide aux réfugiés, qui viennent pour la plupart du Soudan, d'Ethiopie, d’Érythrée et désormais de Syrie, une tâche pour laquelle il s'investit beaucoup mais pour laquelle il prend bien soin de toujours garder du recul en coupant totalement chaque week-end. Il raconte qu'il ne s'est laissé affecter qu'à une seule occasion par le passé, avec une femme qui mourrait de faim et qu'il a hébergé dans sa famille. Pris de sympathie pour elle, ils lui ont offert un repas et une douche chaque semaine, puis des papiers et elle vit à présent à Grenoble. Il y a peu de femmes dans « la jungle », environ 200 (le dixième de la population) et de manière générale elles sont bien protégées dans le camp, ceci dit, ce sont les plus fortes qui sont là car elles ont traversé de terribles épreuves avant de parvenir ici: la violence, le désert, la faim, la méditerranée. Le Président de l'association est impressionné par l'optimisme des réfugiés, tout comme nous d'ailleurs à notre arrivée. Il faut dire que c'est peut être la première fois dans leur périple qu'ils trouvent de quoi se poser et ils en sont plutôt heureux. Mais l'objectif demeure clair, aller en Angleterre, c'est là-bas qu'ils espèrent trouver leur salut et non en France.

Notre entrevue s'achève sur une demande de Julien, il aimerait rencontrer et discuter avec un réfugié. Christian lui répond qu'il ne connaît dans le camp qu'un homme qui maîtrise suffisamment le français et nous invite à aller le trouver à l'intérieur du camp. Un autre moment fort nous attend.

bottom of page