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Solange, Chamonix


Il n'y avait aucune raison que cette rencontre soit plus mémorable qu'une autre. Nous sommes à Chamonix et l'idée, c'est d'aller à l'aiguille du Midi mais il se fait tard alors il nous faut trouver un endroit pour passer la nuit. C'est au fond d'une petite allée non goudronnée que nous venons taper. Personne ne vient, nous nous retournons à la voiture prêt à taper à une autre porte quand une vieille dame a priori seule vient nous ouvrir raccompagnant par la même occasion une personne à la coiffure fraîchement ajustée.

Sa voix timide et fragile me fait dire que ce n'est pas ce soir que nous échangerons avec elle, d'autant plus qu'elle se trouve seule à présent mais elle nous dit oui pour poser la tente à côté de son châlet. Comme pour tous les autres hôtes nous lui proposons timidement d'échanger avec nous si elle dispose d'un peu de temps, sans conviction toutefois. Mais contre toute attente, sa réponse est favorable et elle nous propose de discuter avec elle autour d'une petite assiette.

Tout en nous servant une petite salade et un délicieux morceau de Beaufort, cette retraitée tout compte fait sociable et très bavarde nous raconte modestement qu'elle a été coiffeuse et puis un peu sportive en son temps. La curiosité nous pousse à creuser le sujet. Elle se montre d'abord assez brève sur son travail mais n'est pas peu fière d'aller chercher les quelques archives à son sujet. Et il s'avère que cette dame de 82 ans à l'allure fragile n'est pas forcément ce qu'elle semble être. Solange, pratiquant le freeride et le ski de haute montagne est ainsi la première femme à avoir descendu le Mont Blanc à ski.

Au début des années 70, déposée à 500m sous le Mont Blanc par un hélicoptère (on apprendra que ce n'est pas une première), elle gravit à 34 ans, avec ses trois autres accompagnateurs les derniers mètres encordés avant de se jeter avec son sac de 12kg et ses gros skis en bois dans la descente. Une glisse qui n'est pas continue puisqu'ils doivent avant la dernière partie entreprendre une descente en rappel depuis le sommet d'un gros sérac (un bloc de glace) se servant d'un manche à balai comme base pour les cordes ! Sportive, Solange l'a été, mais elle l'est assurément toujours, elle qui marche encore 10km chaque jour pour aller et revenir dans le centre ville de Chamonix ou qui la semaine passée a effectué une randonnée jusqu'à La Plagne : 4h de montée et 3h de descente. Depuis toute petite elle rêvait de devenir skieuse ou en tous cas sportive professionnelle. Au dire de ses amis, il semblerait qu'elle en avait toutes les capacités physiques, nous n'en doutons pas. Nous qui nous vantions de notre saut en parachute les mois précédents le voyage apprenons qu'elle était surnommée « la sauteuse » pour sa pratique du parachutisme et du vol à voile... bon... Mais la montagne n'était pas son seul terrain favori, elle partait régulièrement faire des raids en Afrique à VTT, souvent avec des hommes, souvent devant car ils n'étaient souvent pas aussi bien entraînés qu'elle.

Cependant si elle n'eut pas la carrière olympique dont elle rêvait, c'est qu'elle dû se résoudre adolescente à suivre les ordres de son père qui l'envoya suivre des cours de couture dans un institut spécialisé. La jeune Solange passe ses journées à pleurer jusqu'à cet autre jour où allant chercher le pain, il tombe sur une annonce « cherche apprentie coiffeuse à l'Alpe Duez», il décide de l'y envoyer, elle a 15 ans. Malgré son manque de motivation, « c'est éprouvant et pas drôle du tout », du talent elle semble avoir, elle qui coiffait sa grand-mère italienne quand elle était petite. Son patron décide ensuite de la faire travailler de manière saisonnière à Paris avant de l'y laisser toute l'année, fort de son succès. Jacques Dessange lui-même appelle un jour celle qu'on commence à appeler « La Championne » pour la recruter, elle qui vole petit à petit la clientèle de son premier salon. Elle répond favorablement à la demande et se retrouve quelques semaines plus tard à coiffer la première dame de France de l'époque, la femme la plus riche de l'Hexagone et d'autres grandes stars de l'époque de Salut les Copains. Je ne les citerai pas, les noms n'ont pas d'importance pour elle.

Mais la montagne manque à Solange qui finit par rentrer à Chamonix et ouvre son propre salon de coiffure au début des années 80 dans la ville avec son mari, lui aussi coiffeur. Malheureusement celui-ci décède d'un accident de voiture alors qu'il n'a pas 40 ans. Alors que je « fais une croûte » avec mon morceau de Beaufort, je me fais reprendre par Solange qui en profite pour raconter l'anecdote de la rencontre de son mari avec ses parents, lui qui fut également surpris en train de « faire la croûte » se voit interpeller : « chez nous, les croûtes, ça ne se coupe pas, ça se râpe ». En effet pendant la guerre, quand la nourriture manquait, on ne pouvait se permettre de jeter ne serait-ce qu'une croûte.

Aujourd'hui retraitée, la savoyarde reste propriétaire de son salon au plafond 1900 dans le centre de Chamonix. Elle pratique encore parfois la coiffure pour des amies comme le soir de notre arrivée ou comme le jour de notre départ où elle partait coiffer une mariée à Genève. Solange a un projet pour les prochaines années : faire le tour des petits villages de Savoie pour aller à la rencontre de ses amis. Sachant qu'elle ponctue la plupart de ses phrases par un « j'ai un copain qui », on se doute qu'ils sont particulièrement nombreux et qu'elle connaît beaucoup de gens. On aimerait l'accompagner, il y aurait encore beaucoup d'histoires à écouter.

Et d'ailleurs Solange est une petite cachottière. Au moment de lui dire au revoir (quatre jours après notre arrivée), nous avons l'occasion de discuter avec l'une de ses filles. Elle nous apprend que sa mère a été décorée de la Légion d'Honneur il y a quelques années.


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